Héritage de feu l'ambassadeur Rouben Shougarian

Écrivant après la révolution de velours mais avant la guerre de 2020, l'ambassadeur Rouben Shougarian, décédé prématurément à 57 ans, au début de 2020, a écrit :
Ce que l'Arménie n'avait pas réussi à accomplir pleinement avant la signature du traité d'amitié et de coopération avec la Russie en 1997 peut encore être réalisé, à condition de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs. Pour ce faire, un certain nombre de conditions préalables externes et internes doivent être correctement alignées.

Avant de tenter une seconde fois de créer une alternative géopolitique pour renforcer sa souveraineté vingt-cinq ans après avoir recouvré son indépendance, l'Arménie doit s'assurer que les questions suivantes sont traitées de manière adéquate :

1. Elle doit mettre de l'ordre dans sa propre maison. Il s'agit, sans aucun doute, d'une tâche ardue qui ne peut être accomplie en un jour. Pourtant, on peut encore espérer que sa société civile en pleine maturation trouvera assez rapidement des moyens efficaces d'y parvenir, mettant ainsi un terme à l'exode massif de la population et rétablissant la réputation de l'Arménie comme îlot de démocratie dans le Caucase. La lutte contre la corruption et l'injustice sociale devrait au moins rattraper et atteindre le niveau de la Géorgie du président Saakashvili durant son premier mandat.

2. Elle doit concilier les intérêts étatiques et nationaux, toujours en conflit, en accordant une certaine préférence aux premiers. Dans le cas de l'Arménie, malgré le fait qu'il s'agisse d'un pays homogène, ces deux notions ne sont pas identiques ou synonymes. La première appartient au domaine de la nouvelle mentalité postindépendance qui n'a pas été entièrement façonnée et absorbée au niveau national, la seconde est revendiquée par les partisans de la pensée traditionnelle. Pour des raisons compréhensibles, la diaspora est plus naturellement porteuse de cette dernière, mais même au sein des communautés arméniennes réparties dans 90 pays, il doit y avoir une volonté de trouver le juste équilibre entre les deux, en tenant compte de l'intérêt de l'État, jusqu'ici mal perçu et souvent sous-estimé. Pour faire face à la nouvelle réalité, il faut comprendre l'immense valeur de la souveraineté après de longs siècles d'existence sans État.

3. Une discussion sérieuse sur l'identité nationale qui puisse conduire à un consensus sur la place de l'Arménie sur le plan culturel et politique et sur les choix susceptibles d'offrir au pays un avenir plus prospère, plus stable et plus sûr. Une telle discussion ne doit pas être idéologisée et limitée par la liste sans cesse renouvelée des préoccupations réelles et perçues en matière de sécurité nationale, qui doit être abordée dans un autre cadre. Une perte potentielle de souveraineté doit être placée en tête de cette liste comme la principale menace pour la sécurité. Le résultat de cette discussion pourrait être la prise de conscience de soi tant attendue, qui finira par définir l'objectif idéal pour l'avenir de l'Arménie au sein de la communauté internationale, non pas handicapé par l'impossibilité de l'atteindre aujourd'hui, mais en harmonie avec le choix naturel et conscient de la nation.

Rouben Shougarian comptait parmi les diplomates les plus accomplis et les intellectuels les plus engagés, ce qui le qualifiait éminemment pour faire des observations et des recommandations générales. Il avait une vaste connaissance et une grande expérience des stratégies expansionnistes des puissances mondiales (Russie) et régionales (Turquie, Iran), ainsi que des intérêts de l'Occident alignés sur l'Azerbaïdjan. Dans l'épilogue de son livre, publié le 15 avril 2018, Shougarian présentait des recettes diplomatiques qui auraient pu éviter la débâcle à venir. Il n'a malheureusement pas été suivi par les dirigeants de la Révolution de velours, sur lesquels il avait fondé de réels espoirs. L'histoire lui ayant appris que ce sont les 90 petits pays qui paient le plus lourd tribut aux conflits liés aux grands, Shougarian encourageait avant tout à améliorer les relations de partenariat direct avec ses voisins.

Inutile de dire que ses paroles sont restées lettre morte.

Un livre blanc : La Guerre du Karabakh de 2020 et l'avenir des politiques étrangère et de sécurité de l’Arménie

Robert Aydabirian (Paris)
Jirair Libaridian (Boston)
Taline Papazian (Aix-en-Provence)

Juillet 2021

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