« Hovel, tu n’as pas le droit. Tes écrits sont trop provocants. Tu décrits la situation comme si rien n’était fait, personne ne faisait rien ; alors qu’il y a tellement d’associations, de partis politiques, tellement de choses sont faites. Tu ne peux pas accuser les gens, dénigrer le travail accompli, considérer leurs efforts comme nuls. Ce n’est pas juste. »
Alex, mon cher, je suis vraiment désolé. Je ne voulais blesser personne, ni rabaisser qui que ce soit.
Cependant, je te prie, prenons un peu de recul et faisons le point.
Où sommes-nous et où allons-nous ?
Prenons en considération la situation de nos écoles, à titre d'exemple. Pendant des années, j’ai œuvré dans le cadre des comités de parents d’élèves de nos écoles. D'abord à Samuel Mourad puis "Tebrotzassere ». La communauté arménienne en France est dotée des personnes de valeur, capables et aisées ; cependant nos écoles restent faibles, en termes d'organisation et de moyens. Où est la faille?
Récemment j’étudiais les statuts et l’organisation du « Fond Social Juif Unifié ». Cette association compte 40 000 membres inscrits et un budget annuel de 24 millions d’euros. Sa principale mission est le soutien et la gestion des écoles juives en France, qui ont vu leur fréquentation passer de 400 en 1950 à 32 045 actuellement.
J’ai cherché une organisation arménienne, un site internet, où je pourrais trouver une information équivalente. Je n’en ai trouvé aucune. J’ai entrepris de rassembler les informations, me suis frappé la tête contre les murs à appeler à droite et à gauche, j’ai fini par prendre un stylo, un papier et une calculatrice et suis arrivé au total de 1213 élèves inscrits dans les sept écoles arméniennes que je connais en France ; 1213 à comparer au 32 045 élèves des écoles juives, en gardant à l’esprit que les deux communautés sont de tailles équivalentes.
L’association juive a un site internet(http://www.fsju.org/)d’où j’ai recueilli l’information citée plus haut. Elle a des statuts clairs, une structure démocratique, une assemblée consultative de 228 membres, un conseil d’administration et un président élus. Elle a des comptes transparents ; 40 000 adhérents. Une personne fait un don d’une centaine d’euros, une autre un millier ou encore un autre dix milles euros par an. Transparence, transparence, transparence. Chaque membre donateur peut voir comment chaque centime est dépensé, et vote pour désigner son représentant.
En plus des écoles, cette association s’intéresse également aux différents problèmes sociaux auxquels est confrontée la communauté et défend les intérêts de cette dernière dans le pays. Elle a établi des liens avec le gouvernement français ainsi qu’avec l’état d’Israël. Il s’agit d’une organisation structurée, coordonnée, démocratique, transparente et bien financée.
Faisons le point.
Où sommes-nous et où allons-nous ?
Quand je parlais du sujet précédent à mon ami Vahé de Beirut, il m’interrompit me disant « S’il te plait, Hovel ! Ne me cite pas le Juifs comme exemple à suivre ! Ces gens sont engagés dans une expansion territoriale de leur pays, en tuant, piétinant les droits des pauvres Palestiniens. Nous n’avons rien à apprendre d’eux. »
Bien ! Je comprends. Nos chers compatriotes vivant au Moyen-Orient ont été exposés à la propagande arabe depuis des décennies. Nous avons même des compatriotes en occident qui ont dû subir certains courants de pensées, et aigris font preuve de préjugés. J’espère qu’avec le temps, nous pourrons grandir et nous élever collectivement. Que nous pourrons grandir et serons capables de faire la différence entre l’état d’Israël et les Juifs, peuple avec lequel nous partageons un funeste destin et quelques traits de caractères. Que nous pourrons élever nos valeurs humaines et nous abstenir de la tentation de discriminer quiconque pour son appartenance religieuse, raciale ou nationale.
Certains ouvrent de nouvelles écoles, alors que nous fermons les nôtres. Nous avons déjà « digéré » la fermeture de Samuel Mourad, de la ville historique de Sèvres, et de la pierre angulaire, l’école Melkonian de Chypres. L’année dernière, en 2015, dans une communauté aussi florissante que celle de Los Angeles, nous avons aussi fermé l’école Arshag Dikranian, vieille de 34 ans. Récemment, j’ai appris que l’école Hrant Dink en France était « en danger ». Je me demande, quand est-ce que Hrant Dink, le héros, est mort en martyr ? N’était-ce pas hier, à ses obsèques, que ses éloges étaient prononcés ? Quand donc cette école a-t-elle été fondée, pour qu’elle soit fermée en si peu de temps ?
Faisons le point.
Où sommes-nous et où allons-nous ?
Le grand poète (1) a dit: «Pour être en mesure de vivre dorénavant, en plus de l'eau, de l’air, et du pain, nous aurons besoin de Fierté ». Il semble bien que le poète croyant (2) a prié avec tant de ferveur, que nous soyons submergés de fierté.
Grandissons et élevons-nous. Grandissons et voyons, reconnaissons les qualités et les accomplissements des autres ; voyons avec sagesse, sans fierté, orgueil ou préjudice. Grandissons en humilité.
Elevons-nous en humanitarisme, sans nombrilisme, transcendons nos cercles proches, montrons de la compassion, partageons les souffrances et peines des autres, des Ukrainiens, des Yezidis, des Erythréens, et apprenons à donner « aux autres », aux non Arméniens. Révoltons-nous contre les injustices faites aux autres. Je suis sûr que plus de Juifs que d’Arméniens participent aux manifestations pro-paix, pro Palestiniens, ayant lieu à Jérusalem, Paris ou New-York. Les ignorants et les sectaires diront «eux, ils… ». Elevons-nous. Sortons de nos préjugés. Elevons-nous, afin d’être fiers d’Arméniens, qui au-delà de leur patriotisme, sont aussi des humanitaires philanthropes. Hoviv, le caricaturiste célèbre dans la presse française, s’est attaqué aux problèmes arméniens sur la fin de sa vie. Dans le dessin ci-dessous, il aborde la difficulté de maintenir son identité arménienne, notamment dans les mariages mixtes.
Curieuse coïncidence, ces noms correspondent à celui de nos enfants.
Dans un autre dessin, il soulève la question du nombre d’Arméniens détenteur de prix Nobel, en comparaison aux Juifs. Pour revenir à notre sujet, à quel point l’éducation de nos enfants est-elle primordiale pour nous ? Parmi nos différents problèmes, à quel point nos écoles sont-elles prioritaires ? Quelle part du budget de notre communauté est allouée à l’éducation des futures générations ? Oublions les chiffres un instant, oublions le maintien de l’identité arménienne. Avons-nous l’envie, l’ambition, la passion d’avoir des écoles qui transmettront l’éducation, l’instruction pour élever des philosophes, des écrivains, des scientifiques, qui iront gagner des prix Nobel, dans une génération ? Quand devrons-nous planter pour récolter dans une génération ?
Serait-il juste d’accuser les pauvres administrateurs de nos pauvres écoles, qui en tant qu’artisans, employés en col bleu ou en col blanc, vont participer aux conseils d’administration des écoles après de longues journées de travail. Des membres de conseils d’administration qui passent leur fin de semaine à peindre les salles de classe, réparer la plomberie… Serait-il juste de les accuser de « médiocrité », de « manque » d’ambition ? Qui prépare les programmes de nos écoles ? Quelles exigences avons-nous vis-à-vis du niveau ou des capacités des enseignants ? Avons-nous pris en compte le niveau des salaires à proposer, afin d’attirer les enseignants les plus qualifiés ? Où est l’argent ? Où est l’organisation ?
Il y a tellement d’associations, tellement de partis politiques…
Alex, mon cher, mon très cher. Tu sais ? C’est le nœud du problème. Nous avons trop de structures. Beauuuuucoup trop ! Des structures partisanes, clivantes, en conflit ; Si tu appartiens à une association, un parti, une église, un mouvement, tu ne peux pas appartenir à l’autre, tu y es probablement opposé, en conflit. Tu es contre, tu es « haga ».
Nous avons certainement besoin de ces organisations, églises, sans lesquelles nous ne serions certainement pas ici. Mais aujourd’hui, dans un monde en pleine mondialisation, nous avons besoin d’une structure apolitique, unifiée et financée. Pas encore une autre, mais une organisation.
Mon cher Vahe, je dois l’admettre. Personnellement, j’aime l’association juive, ou du moins, son nom.
Fond – de l’argent, de l’argent, de l’argent
Social – apolitique et aconfessionnel
Juif – proclamant son identité
Unifié – unifiant
Mon cher Vahe, nous avons certainement nos valeurs. Mais nous avons besoin d’apprendre à apprendre.
En plus du programme éducatif, nous devrions également gérer les intérêts économiques, les problèmes sociaux et défendre les intérêts de la communauté.
Le champ est vaste, la moisson est grande, mais les travailleurs sont peu nombreux.
Nous devons travailler,
Le temps file,
Nous devons commencer,
Commençons,
Nos allons commencer,
Je vous écrirai,
Bientôt,