A qui appartient notre mère patrie ?

En décembre dernier, je croisais mon cousin Mardig à Dubaï, où il venait d'emménager d'Alep avec son atelier, ses machines et son équipe de 25 joailliers arméniens, tous accompagnés de leurs familles. Il déclara pendant le diner : «Je suis très contrarié. J'aurais aimé emménager en Arménie plutôt qu'à Dubaï… J'y ai une maison, mon cœur est en Arménie… Ici, « nos » enfants n'apprendront pas à lire et écrire l'Arménien… et Dieu sait qui ils épouseront »

Paris, juin 2015

En décembre dernier, je croisais mon cousin Mardig à Dubaï, où il venait d'emménager d'Alep avec son atelier, ses machines et son équipe de 25 joailliers arméniens, tous accompagnés de leurs familles. Il déclara pendant le diner : «Je suis très contrarié. J'aurais aimé emménager en Arménie plutôt qu'à Dubaï… J'y ai une maison, mon cœur est en Arménie… Ici, « nos » enfants n'apprendront pas à lire et écrire l'Arménien… et Dieu sait qui ils épouseront »

Mardig était très ému. Il voyageait en Arménie plusieurs fois par an, y avait fondé une entreprise de BTP et venait d'achever la construction d'un immeuble résidentiel à Yerevan. Il avait envisagé d'emménager la bas avec sa « tribu », y était allé à de multiples reprises, avait discuté avec des amis ayant des ateliers sur place ; face aux difficultés administratives omniprésenteslire article Rapaport formalités douanières lentes, marchandises gelées pendant des semaines à l'import comme à l'export, il avait abandonné. A ma demande, il expliqua : « J'utilise quotidiennement 2 kilos d'or pour mon travail. L'or que j'achète un jour donné est livré, vendu et encaissé le lendemain. En Arménie, j'aurais besoin bloquer 50 kilos d'or inutilement». Ne pouvant financièrement se le permettre, il avait renoncé.

Lutter contre le système n'est pas facile. Même l'Association des Joailliers Arméniensmalgré tout le soutien de la part du gouvernement, a rencontré les mêmes embuches administratives au cours de l'exposition de joaillerie d'Erevan l'année passée..

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La semaine dernière, j’ai appris que l’atelier de mon ami Hagop, en Arménie, comptant à une époque près de 100 travailleurs, avait pratiquement cessé sa production. Cela fait des années que je suis fier des bijoux de Hagop, créée par des maîtres joailliers arméniens, fier des sa célèbre marque exposées dans les plus prestigieuses vitrines à Hong-Kong, Singapour, Dubaï, Paris et sur la Cinquième Avenue à Manhattan. Qu’adviendra-t-il donc de ces travailleurs ? Hagop embauchera probablement les joailliers les plus qualifiés dans ses ateliers à l’étranger, quand aux autres…

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Il y a quelques mois, je rencontrais à Paris une dame accompagnée de ses trois enfants, âgés de six à dix ans, tous correctement habillés et bien élevés. Ils étaient arrivés la veille d’Erevan et souhaitaient se rendre dans une ville de province. En Arménie, la dame avait entendu dire que les chances d'obtenir des titres de séjour étaient plus élevées en Province. Ils avaient passé la nuit à Paris, dans la salle d’attente de la gare de Lyon, et n’avaient aucune idée d’où ils passeraient les nuits suivantes. Ils ne connaissaient personne en France. J’essayais de leur expliquer que la vie ici n’était pas aisée, qu’ils auraient pu être mieux lotis en Arménie. Pour elle, ils y étaient enfin parvenus… à l ’EldoradoIls avaient de toute façon vendu leur maison pour financer leurs visas, 5000 dollars par pièce

Je songe à Mardig, ses employés ainsi que leurs familles, privés de notre Hayrenik, sa terre, et de la chance qu’elle offre de maintenir et transmettre notre héritage culturel; cet héritage culturel, ce précieux patrimoine que nous aimerions tant léguer à nos enfants.

Je songe aux employés d’Hagop, dont certains atterriront dans les rues de Bruxelles, Paris ou Los Angeles, tout comme la dame rencontrée il y a quelques mois de cela dans la gare de Lyon. Finalement, ils réussiront, puis se fondront dans leur nouvelle patrie d’adoption.

D’un autre coté, nous avons en Diaspora des entrepreneurs Arméniens employant des dizaines de milliers de travailleurs en Chine, au Vietnam ou en Thaïlande, qui sont prospères et manquent de main d’œuvre qualifiées… Au vu de l’inflation actuelle en Asie, cette main d’œuvre coute moins cher maintenant en Arménie, où les gens sont cultivés et certainement plus qualifiés. Qu’est ce qui empêche la Diaspora de déplacer son industrie en Arménie ?

Où nous sommes nous donc trompé ?

Certains métiers sont transmis ou sont liés à des peuples ; un corps de métier dans lequel les Arméniens sont réputés est la joaillerie. A l’image des Perses, reconnus comme les maitres du tissage de tapis, les Arméniens ont été les maitres du façonnage de l’or et la taille des pierres précieuses depuis l’aube des temps. Historiquement, tant dans l’Empire Ottoman ou l’Empire Russe, les sultans et les tsars faisaient appel aux services des joailliers Arméniens.

L’Union Soviétique avait reconnu ce talent au sein des Arméniens et avait concentré son industrie de joaillerie et de taille de diamant principalement en Arménie.

Il y a actuellement 15 000 personnes travaillant dans le secteur de la joaillerie en Arménie, mais peu importe le nombre. Le joaillier Arménien est réputé dans le marché mondial de la bijouterie, étant doué et créatif..

Où nous sommes nous donc trompé ?

Je songe aux atouts de la Diaspora, autre que les entrepreneurs précités ou bien les philanthropes soutenant financièrement l’Arménie.

Rien qu’en France, nous avons eu des Arméniens ministres de l’économie, ministres de l’industrie, un premier ministre…
Dans un pays comme la France, reconnu comme un état de droit, doté d’une économie de marché.
En Turquie, nous venons d’avoir un Arménien devenu conseiller du premier ministre de la République Turque.
En Turquie, fier « membre » des vingt plus grandes puissance économiques mondiales.

Je pense à ces atouts, politiciens et économistes, en France, en Turquie et ailleurs, qui ne sont pas seulement d’origine arménienne, mais sont Arméniens « corps et âmes », et apporteraient leur pierre à l’édifice, si ils y étaient appelés. Nous, Arméniens de la Diaspora, avons été privés de mère patrie, la cherchant comme un noyé recherche l’air, et sommes émus dès que nous foulons le sol de cette Arménie. Nous sommes encore plus émus lorsque nous sommes invités par ces ministres de la Diaspora, ce premier ministre, ou bien que nous somme salués pour notre participation aux conférences Arménie-Diaspora.

Ne devrions-nous pas, plutôt que d’écouter les longs, émouvant discours de ministres, agir ?
Ne devrions-nous pas, au-delà de notre action en tant que philanthrope, tenter d’aider par notre savoir-faire et une expérience riches, différentes de celles issues système Soviétique ?
Ne devrions nous pas prendre nos responsabilités vis à vis de notre nation, notre mère patrie ?
La Diaspora ne devrait-elle pas rassembler ses entrepreneurs, économistes et hommes politiques afin d’aboutir à un projet, des recommandations, concernant les possibilités d’évolution économique de l’Arménie ?
Le but étant simplement d’améliorer le rang de l’Arménie au sein du classement établi par la Banque Mondiale des pays présentant des « facilités pour faire du commerceEase of doing businesscela sans aucune intention d’ingérence!

La Diaspora est-elle suffisamment mure pour entreprendre de tels projets ?
Y a t il un pilote dans l’avion de la Diaspora ?

Au cours des dix dernières années, on dit que 1 500 000 citoyens Arméniens ont émigrés, autant de personnes potentiellement victime d’un Génocide BlancNous ne pouvons tenir aucune puissance étrangère responsable de ces 1 500 000 là.
Assez d’atermoiements!
Assez de discussion et d’articles de journal de Diaspora au sujet des écarts de tel ou tel politicien de République d’Arménie! 
Assez de critiques négatives! 
Que les dirigeants de la Diaspora qui se considèrent en tant que tels, se lèvent, mettent de côté leur confort, leurs querelles de clochers de village, se réunissent, se renforçant mutuellement et prennent leurs responsabilités, prenant en charge la mère patrie. Après tout, à qui donc l’Arménie « appartient » elle ?

L’Histoire jugera nos dirigeants et nous même, pour notre inaction.

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